Polo LACOSTE

Polo Lacoste, une creation Andre Gillier à Troyes


1933 : Lacoste impose son crocodile

Baptisé « L'Alligator » par un journaliste de Boston en raison de son jeu « implacable », René Lacoste remporte le Championnat des États-Unis contre son idole de jeunesse, Tilden, en 1927 (collection particulière, publiée par l'EST-ECLAIR)


« On se demande comment la pratique d'un jeu aussi athlétique que le tennis pouvait se concilier jusqu'en 1930 avec des vêtements analogues à ceux convenant à une garden-party… », confie en 1982 le tennisman de légende qu'est toujours René Lacoste dans son livre « Plaisir du tennis »*.

Lui dont le nom est resté indissociable de la mode sportive l'avoue simplement : c'est la championne Suzanne Lenglen « qui a commencé à mettre à la mode des vêtements commodes et plus élégants… » Et il a suivi « J'imaginais et je fis confectionner les 1ers modèles de chemises Lacoste pour moi-même, afin de supporter la chaleur sur les courts américains… » En Angleterre d'abord, où le sportif a trouvé un tailleur qui utilise une maille de coton résistante autant qu'absorbante.

Le petit Français est un amoureux de l'Amérique qu'il fréquente depuis la fin des années vingt. « Ce qui me plaisait, c'était l'été aux États-Unis, précédé ou suivi de repos et de détente… sur les paquebots français, entre Le Havre et New York. » Le Paris ou l'Ile-de-France. Le séjour outre-Atlantique à Boston, Philadelphie et New York, est mi-sportif, mi-loisir. Mais la « chaleur humide des après-midi et des nuits ans air conditionné » font vite fondre les « quatre ou cinq kilos » pris sur les paquebots, reconnaît-il. C'est en 1927, qu'un journaliste le surnomme « l'alligator ». Parce que son jeu le cantonne en fond de court - « comme l'alligator dans la rivière »-, à relancer la balle et à attendre patiemment les erreurs de son adversaire. Quelques mois plus tard, les journalistes français reprennent le surnom de « crocodile ». Ils ont eu vent d'une anecdote : il a demandé au capitaine de l'équipe de France, Louis Guillou, de lui offrir une mallette revêtue de la peau du saurien s'il gagne le prochain match important. « Je ne gagnai et je n'eus pas ma mallette… mais un surnom qui devint un emblème ». Sitôt, il demande à son ami Robert George de lui dessiner le saurien. Grand modèle et la gueule largement ouverte sur une denture acérée. Une image qu'il fait broder sur la poitrine de ses blazers. Sans savoir qu'il vient d'inventer là le premier logo commercial ! Car, au début des années trente, il entreprend de faire faire ses chemises en France, dans la capitale incontestée de la bonneterie : Troyes. René Lacoste, qui connaît un de ses oncles, contacte d'abord Pierre Lévy, jeune industriel à la tête du Jersey Troyen qui vient de racheter, en 1931, l'entreprise Devanlay : le noyau de son futur groupe. Mais il refuse tout net : « Pour ne vendre que quelques pièces, c'est du temps perdu ! ».

C'est partie remise pour trois décennies.

« Ce fut de ma part une grave erreur que Gillier ne commit pas ! », a reconnu plus tard le magnat du textile dans ses mémoires.

Car Lacoste qui arbore sur les courts ses chemises frappées du crocodile a constaté que les autres champions l'imitaient. Puis tous les tennismen. Puis les golfeurs et les golfeuses… D'où l'idée de commercialiser sa « chemise Lacoste ». La rencontre avec André Gillier est inopinée. Son père, Jean-Jules Lacoste est président d'Hispano-Suiza France. Et cette année 1933, il vient de livrer à Troyes un superbe modèle destiné à l'industriel André Gillier. Pierre Lévy n'est encore qu'un petit patron quand Gillier est le maître incontesté de la bonneterie troyenne. On ne peut imaginer plus de contraste entre le sportif, vrai dandy des années folles, et le chevalier d'industrie, patron social et féru d'innovations.

Sur le site du Petit et du Grand Saint-Bernard, écoles fondées par le père Brisson et rachetées par Gillier père en 1904, le fils a développé une entreprise modèle. Du point de vue social. Elle met à disposition de ses ouvriers des réfectoires, des « bains douches », une « coopérative de consommation », des allocations familiales, des primes d'ancienneté… Les acquis de 1936 avant 1936 ! D'un point de vue technique ensuite. L'entreprise, spécialisée dans les matières nobles (cachemire, soie et angora), dispose d'un département recherches, où sont imaginées des matières nouvelles comme le « Columbia » et le « Gilangor ». Quant à l'outil industriel, c'est un des plus beaux de France. Les 25 000 m2 de l'usine des Gayettes (sur 55 000 m2 dans treize usines françaises, chiffres 1927), rassemblent quatre cents métiers « Cotton » et cinq cents métiers rectilignes pour le seul département « bas et chaussettes ». Mais Gillier, c'est aussi un département tissus et un département confection. Il ne produit « que quelques vêtements et articles de maille » mais ce sont « les plus riches et les plus fins » que l'on peut trouver en France. Lacoste a trouvé l'homme qu'il lui faut.

* Dès cette année 1933, le sportif et l'industriel troyen sont associés dans une même entreprise. Et le laboratoire sort bientôt le prototype 1212, maintenant mondialement connu sous le nom de « polo Lacoste ».

d'après J.-M. VAN HOUTTE
Publié par l'Est-Éclair le samedi 19 décembre 2009

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Témoignage :


Suzanne Verhée : cinquante-deux ans de vie « Lacoste »


Publicité Lacoste, datée de 1933, année de sa création, et tout empreinte de l'esthétique des années 30


« Quand j'étais petite, je me disais « Jamais je ne travaillerai en usine ». J'habitais près de la rue Bégand - une rue d'usines -, et quand je descendais cette rue, je trouvais qu'elle sentait la teinturerie, qu'elle était triste, noire… », se rappelle Suzanne Verhée.
Alerte retraitée, elle aura pourtant passé cinquante-deux ans sous les sheds chez André Gillier SA puis Devanlay - et toujours au service du « Crocodile » ! Quand à l'âge de 14 ans, elle entre dans l'entreprise, en 1936, la jeune apprentie qu'elle est « coud les petits crocodiles » sur la poitrine des chemises Lacoste.
« Quand j'ai réalisé que j'allais rester chez Gillier, j'ai décidé de m'élever dans l'entreprise… » Successivement, elle va intégrer à sa demande la salle des métiers et travailler sur les « surpiqueuses », les
« surjeteuses » et l'ensemble des métiers du process industriel. Elle passera ensuite à l'encadrement, enfin au service échantillons : le service chargé de réaliser les prototypes dessinés à Paris par les stylistes de Lacoste pour les collections de l'année suivante. Elle a accompagné la chemise Lacoste dès sa naissance pratiquement : « Il n'existait alors que trois modèles de chemises « homme » et un modèle de chemise « femme ». Mais dès le départ, « elles ont eu un grand succès auprès des tennismen ». De 1936 à 1989, la jeune ouvrière a vu apparaître les shorts homme, les robes de tennis, puis les jupes, les blousons, les articles de couleur… Suzanne se souvient encore de M. et Mme André Gillier : « Un couple très élégant, abordable, qui venait souvent à l'usine… » Et elle se souvient aussi de René Lacoste, à Troyes ou à Paris lorsqu'elle allait chercher les patrons conçus par les stylistes. : « Un homme charmant, très abordable, au grand sourire et d'une véritable élégance… » Suzanne Verhée ne regrette pas une minute de ces cinquante-deux années consacrées à Gillier puis Devanlay, à Lacoste et au Crocodile. Et revendique toujours son attachement à l'« esprit Lacoste ». Alliance d'élégance et de qualité…

Publié par l'Est-Eclair du samedi 19 décembre 2009